Un jour (j'ai alors 15 ans) que je gravis une voie difficile des Dentelles de Montmirail, je pars dans une variante complexe en traversée, je monte haut, j'hésite, tergiverse, fatigue, m'épuise et je chute à la sortie du passage dans une longue chute en balancer. En bas, livide, je retrouve un habitué des lieux qui me félicite pour ma vaillance:"Elle est pas donnée celle-là! C'est beau de la tenter. Mais il faut savoir qu'il y a quelques semaines, Bérhault l'a faite...et en solo!" (rires).
C'était cela Bérhault. Un écart incommensurable pour l'époque avec les normes classiques.
Des années passent. Et puis, un jour, je suis invité par les chorégraphes Laura de Nercy et Bruno Dizien au Centre National de Danse d’Anger, afin de suivre leur travail d’écriture artistique verticale. Patrick Bérhault est là aussi qui encadre et stimule l’entreprise. C’est pour moi une rencontre extraordinaire et magique. Durant une semaine, nous échangeons, et nous grimpons. Je lui fais part des premiers travaux de Solvebörn sur l’utilisation du réflexe myotatique inverse dans les étirements qu’il met aussitôt en application dans les séances d’étirement de retour au calme, qui prennent une dimension plus approfondie. En musculation, nous échafaudons des possibilités pliométriques appliquées à l’escalade : il expérimente immédiatement ses utilisations dans les mouvements complexes renversés dynamiques et les jetés, à un mètre du sol, à l’aide de quelques pauvres prises de résine sur un mur.
Souvenirs de quelques mouvements de bloc avec Bérhault à l'écart d'Angers, avec Yann Bérard, mon cousin, yeux grands ouverts devant la légende.
Patrick, j’ai gardé de toi ce goût de l’exploitation de l’univers proche. Comme lorsque tu t’es retiré quelques temps en Auvergne et que tu grimpais des sommets inaccessibles autour d’un simple caillou dont tu faisais le tour à n’en plus finir. J’ai appris avec toi à grimper d’un seul bras ou les yeux bandés…histoire de recréer un monde dans le monde, tout proche.
Je n'aime pas cette volonté farouche qui t'a fait quitter les tiens pour grimper les sommets, mais les hommes comme toi restent essentiels pour les autres.
Cette capacité à exploiter la moindre chose qui nous entoure, elle est précieuse. Fondamentale. D’autant plus que les contraintes écologiques resserrent aujourd’hui les gestes et les déplacements.
« (…) tu peux remplir ta vie d’aventure ici, sans aller chercher ailleurs ! » disait-il.
Adieu grand homme, intègre.
Et merci surtout.
Pour tout.
Grimpeur éclectique et surdoué, Patrick Bérhault a ouvert la voie de l’alpinisme moderne. Léger et rapide. Il méduse le monde de l’escalade et la montagne dans tous les projets qu’il réalise. Ses enchaînements, ses solos et ses chronos laissent encore pantois par leur audace et leur avant-gardisme. Le 28 avril 2004, lors d’une tentative d’enchaînement dans les Alpes des 81 sommets de 4000m, en 81 jours, une corniche du Dôme de Mischabel le stoppe définitivement dans sa quête. Avec ce pan de neige qui dévale alors le vide, c'est un modèle d’intégrité qui disparait. Bérhault aura marqué plusieurs générations par son humanité et le courage assumé de ses prises de risque, et de position.
Ci-dessus la couverture du premier numéro de Vertical Roc pour lequel nous avons collaboré et dans lequel il retrace le plaisir de son escalade du dièdre de 90m dans la belle face ouest des Drus, tandis que quelques pages plus loin, je développe une approche didactique plus moderne de la progression en escalade...(voir l'article dans la rubrique Race Coach).